Servitude volontaire

Au village des fossoyeurs, le grand chef s'appellerait Courbet.

"Sans aucun doute", il faut le voir pour le croire, ça tient presque du miracle toute cette rigueur intellectuelle déployée et cette envie de faire avancer les choses de manière objective, raisonnée, sans amalgame.

Tous les vendredis, Julien Courbet reçoit sur son plateau toutes les personnes à qui la vie a fait un grand fuck y'a bien longtemps, et qui n'ont plus que leur misère à vendre...sur un plateau (il faut bien retomber sur ses pattes). Notre animateur est donc devenu une sorte de zorro des temps modernes. Et lui, le fuck, il le fait à la Justice. Sans que cela choque personne, on peut ainsi l'entendre dire, tous les vendredis, sur TF1, des phrases hallucinantes, du style: "Mais madame, vous savez, la justice fait son travail, et moi le mien. Et mon travail, c'est d'aider des gens dans le désespoir le plus total". Donc en gros, pour simplifier, des gens viennent réclamer du pognon à un méchant fournisseur, employeur, client etc etc... Courbet raconte qu'il fait ça pour "aider" les personnes qui le sollicitent. Alors ok, tous les vendredis, il règle à court terme le problème de dix personnes. On compte pas bien sûr le retour au quotidien du couple qui vient de montrer son malheur à des millions de téléspectateurs. On compte pas non plus les téléspectateurs qui partagent avec les témoins de l'émission les mêmes problèmes. Face à l'écran, ça a l'air tout simple: suffit d'aller voir Courbet. Malheureusement, cette semaine encore, Danièle M., Raymond Y., Yvette T., Dominique G. et les autres regarderont Courbet jouer au chevalier blanc en gardant leurs problèmes sous le bras.

Dans l'émission, on trouve aussi des spécimens, de l'espèce avocaviar. Courbet s'est entouré en effet d'une petite dizaine d'avocats et juristes livrés avec les paillettes, le sourire Colgate, et la même condescendance grossière que l'animateur. Comme le "Maître Enfoiros" des Inconnus. Y'en a une, elle est insupportable: on a l'impression qu'on peut lire l'augmentation de ses honoraires sur les tenues qu'elles portent. Genre ya trois ans, elle venait en jeans, maintenant, elle a son p'tit tailleur chanel, la couleur fraîche. Bon le rouge à lèvres l'est un peu moins (il est très très rose quand même).

Et tous ces gens sont là pour conseiller les témoins...sans qui l'émission, reconnaissons-le, ne serait pas ce qu'elle est. Ici, on est sur TF1, pas chez moati: faut donc des pleurs, des histoires de famille, des injustices, de la France du tréfonds, et rien d'autre. Courbet est intransigeant sur la marchandise. Certains, on ne sait trop comment, arrivent à cumuler tous les critères. Dans ce cas-là, c'est du lourd, on sait que le retour sur investissement sera maximum. A "Sans aucun doute", on appelle ça les "querelles de voisinage". Dans le langage tf1, ça veut dire: "on va en province, et on trouve 2-3 cons à filmer". Là, le reportage tournait autour d'une maman de 4 enfants, que ses deux voisines traitaient de pute parce qu'elles jugeaient (et on sentait que ça venait de loin) que la jeune femme "aguichait les hommes du quartier". Donc c'était du courbet, à savoir mini-jupe à ras la salade, bêtise crasse, ignorance, et préjugés vils de chez vils.

On a forcément eu droit, aussi, à la mise en scène habituelle, du style: "bon monique, tu mets ta mini-jupe, tu fais des effets de bouche, et tu vas brancher les voisines, c'est bon pour l'audience". Pendant l'échange, l'une des deux (la cinquantaine pas vraiment épanouie, les lunettes 'top top 85 madame est servie', le pull afibel gris à rayures noires de 91, et le brushing branlant) dit à monique: "toi, d'toute façon, jusqu'à temps que t'arrêtes que tu fasses la traînée, les jupes trop courtes là, et bah...bah...si elle, d'toute façon elle avait des revolvers dans les yeux, elle nous aurait tué depuis longtemps!!". ça sortait du coeur, on sentait qu'elle se libérait d'un poids. On ne s'arrêtera pas sur la syntaxe toute approximative du propos, mais on a bien vu que la dame était pas contente.

C'est rigolo comme les querelles de voisinage reposent toujours sur des conflits bidons: "ma voisine aguiche les hommes du quartier", "mon voisin empiète de 3 millimètres sur mon terrain", "mon voisin a mis 4 pots d'échappement sur sa 309 tuné avec l'aileron et les lumières violettes sous la chassie et ça fait trop de bruit", "ma voisine dit bonjour à mes enfants et ça m'insupporte" etc etc.

Bref, comme tous les vendredis, à "Sans aucun doute", on a parlé de morts, de querelles, de misère, d'ignorance, en oubliant pas de montrer du doigt la justice "qui ne fait pas son travail correctement quelquefois, il faut bien le dire".

Le vendredi soir, chez Julien Courbet, ça craint du boudin.

"Turn on the tv and die!"